« Les universitaires font le constat que le niveau d’orthographe et d’expression écrite a singulièrement baissé depuis une dizaine d’années, or c’est une clé pour des études et une insertion professionnelle réussie », a expliqué la ministre de l’Enseignement supérieur, Valérie Pécresse lundi 4 octobre 2010.
Suite à l’annonce de la mise en place de cours de rattrapage dans les universités, je rencontre Christiane, 52 ans, Professeur des Ecoles.
Vous avez sans doute entendu parler que plusieurs universités ont mis en place des cours de remise à niveau et de maîtrise de la langue française…
«J’étais la première surprise de voir qu’ils donnaient des cours de rattrapage à l’université, malgré l’exigence concernant la hausse du niveau exigé aujourd’hui et le souhait de retourner aux valeurs fondamentales de l’enseignement.
Est ce qu’il a eu une prise de conscience générale du niveau d’exigence de la langue française dans les diplômes de niveaux supérieurs?
Oui, on en a pris conscience parce que jusqu’à présent le niveau en orthographe n’était pas très exigent. C’est plus la culture générale qui prime. Mais aujourd’hui on parle partout de revenir à une maîtrise de la langue française de plus en plus pointue.
Y’a t’il un réel fossé entre le niveau aujourd’hui et il y a 30 ans?
J’ai passé le concours d’Ecole Normale en 1973, à la fin de la 3ème et les critères exigés était l’excellence en orthographe, grammaire et conjugaison, donc des dictées sans aucune faute.
J’ai eu ma première classe en 1979 et déjà c’était la grande époque d’activité de l’éveil. Il y a eu une évolution de la méthode pédagogique qui était moins accès sur les apprentissages fondamentaux bien que ça m’ait toujours à coeur.
Qu’est ce qui a fait que l’on soit devenu si laxistes?
Je ne parlerais pas de laxisme mais s’il y a une diminution des compétences en orthographe, c’est qu’il y a plusieurs raisons. Déjà la diminution du nombre d’heures de français dans la semaine par rapport à ce qui se faisait avant. A l’époque le français et les maths primaient sur le reste et on passait beaucoup moins de temps sur l’Histoire, la Géographie ou les Sciences. On apprenait mais les cours étaient quand même très cadrés et on ne passait pas trois séances sur une leçon.
Ensuite il y a tout ce qui est du ressort de la génération elle même, génération du zapping, des sms où les jeunes n’ont pas le sentiment que ce soit si important que ça de maîtriser l’orthographe.
Les enseignants ne prennent pas les mesures nécessaires avant de laisser les jeunes passer le BAC avec des lacunes?
Ce n’est pas qu’ils ne prennent pas les mesures nécessaires, c’est simplement qu’ils n’y arrivent pas donc à un moment donné l’orthographe ne devient plus une priorité parce qu’il y a aussi une forme de lassitude des enseignants face à une récidive des erreurs des enfants. A l’heure actuelle, on demande aux enfants de travailler sur leurs compétences donc on évalue ce qu’ils savent faire plutôt que sur ce qu’ils ne savent pas faire. De là il peut y avoir une dérive: c’est que les enfants qui écrivent avec des fautes d’orthographe ne trouvent pas ça si grave.
Quelles conséquences cela risque d’avoir sur le long terme pour l’avenir des jeunes?
La perte de la valeur de la langue française. C’est pourquoi il faut vraiment revenir sur quelque chose de très structuré, c’est d’ailleurs le but des programmes de 2008 qui aspirent à revenir sur des enseignements fondamentaux
Pensez vous que ces cours de rattrapages proposés vont vraiment changer les choses?
Ca changera forcément quelque chose pour ceux qui ont vraiment compris l’enjeu de la maîtrise de la langue française, mais pour ceux qui n’y accordent pas spécialement d’importance, ils ne comprendront pas qu’à un moment donné au cours de leur vie professionnelle, ils auront besoin de rédiger des lettres de motivation, des textes, des curriculum vitae etc et que c’est une nécessité de pouvoir maîtriser l’orthographe.
Et le problème aussi de ces lacunesc’est le manque de vocabulaire ou le vocabulaire approximatif.
Et la lecture est aussi très importante mais, comme ça a toujours été, certains aiment lire, pour d’autres ce n’est pas une priorité.
Selon vous y’a t’il un manque de compétences et de travail de la part des enseignants?
Les professeurs travaillent beaucoup mais sont confrontés à une multiplicité des disciplines qu’il n’y avait pas avant. Dès l’école élémentaire il y a aussi les langues vivantes, l’histoire de l’Art…
Et le temps est réduit notamment avec le samedi matin qui a été supprimé…
Ensuite il y a eu aussi une génération d’enseignants qui ne maîtrisait pas l’orthographe et qui n’ont pas pu servir de modèles aux enfants. Si bien qu’on est arrivé dans une sorte d’impasse où ce n’est pas utile de progresser en orthographe, le principal pour eux dans la production écrite étant d’avoir des idées. Ce qui est vrai aussi, mais ce n’est pas suffisant.
Sentez vous un déclin du système scolaire?
Je ne parlerais pas de déclin car il y a une volonté de faire mieux, toujours plus. Il y a beaucoup d’énergie dépensée de la part des enseignants. Ils sont dévoués, polyvalents et travaillent sans compter avec les moyens qu’on leur accorde. Avec un temps réduit, avec des classes surchargées, avec de plus en plus d’enfants de milieux sociaux défavorisés, des enfants en situation de handicap… En plus d’enseigner, nous faisons également du social…
Les programmes aussi sont de plus en plus ambitieux et surchargés. En plus de l’enseignement de base en élémentaire, il y a les langues vivantes, l’informatique, la sécurité routière etc. Ce qu’on demande aux enseignants est énorme. Aide personnalisée, différentiation pédagogique, des évaluations pointues et régulières… Ce n’est donc pas le manque de travail des enseignants qui pénalise les élèves.
Comment faire prendre conscience de l’enjeu aux élèves?
Difficile à dire car on n’ a plus une politique de sanction de la faute. Maintenant on est dans une politique de faire émerger les erreurs des enfants pour y remédier.
Ce qui faisait que les enfants étaient extrêmement attentifs aux fautes, c’est que le français primait sur tout le reste donc quel que soit l’examen à passer il fallait avoir une bonne maîtrise de la grammaire, de la dictée… tandis que maintenant comme on n’axe plus sur la faute mais sur l’erreur qui est un outil pour enseigner, les enfants n’ont plus cette pression d’être attentifs sur les fautes qu’ils commettent, de revenir sur ce qu’ils ont écrit, alors qu’avant c’était systématique.
Mais on y retravaille afin de permettre aux enfants de repérer leurs erreurs, d’y être attentifs et d’y remédier eux même, cela dit ça ne se fera pas du jour au lendemain. D’ailleurs pourquoi a-t’on supprimé cette idée de faute: parce que ça avait un statut moral. La faute tient de la responsabilité de celui qui l’a faite tandis que les erreurs, tout le monde en fait et ça évite de culpabiliser l’enfant.
Mais en même temps, en le déculpabilisant, ça laisse une part à une forme de «zapping».
Il faut aussi que le français soit une matière transversale à toutes les autres matières. Les enfants ont du mal à faire le transfert. Une leçon apprise en grammaire ou en conjugaison n’est pas toujours appliquée Histoire par exemple alors que c’est la même chose!
Quel conseil donneriez vous aux personnes concernées?
Aux enseignants, continuez d’y croire, on a un certain nombre de billes entre les mains malgré le manque de temps. On revient, grâce aux nouveaux programmes de 2008 notamment, à des notions précises, on doit être rigoureux, dans la présentation du tableau, du cahier des enfants. La rigueur ils adorent ça mais sans non plus tomber dans la sanction.
Aux enfants je dirais d’apprendre à s’attacher aux mots, avoir cette curiosité du mot par la lecture ou lorsqu’on entend une phrase, être sûr d’avoir bien compris de quoi il s’agit et toujours avoir recours a une définition précise car le vocabulaire c’est la base de tout.
Pour finir, avoir confiance en leurs enseignants. Je dirais ça aussi aux parents. Car moi j’ai une grande confiance en les jeunes professeurs des Ecoles qui commencent le métier, plein d’enthousiasme mais sans naïveté et qui ont compris ce qu’est l’Enfant. Et ils ont envie de faire plein d’efforts pour pas les mettre en échec.